Les couilles sur le cœur.
Joyeuse année 2023 ! Que les bons moments permettent de dépasser les plus difficiles. Sans en faire une histoire personnelle.
Un vœu pieux ? Justement, il est temps de parler de virilité, de ce qui symbolise encore beaucoup aujourd’hui le masculin, l’homme, le viril : son pieux, son sexe érigé comme une ode à la force vitale éternelle.
Oui mais, à réduire la virilité à l’érection, on perd un poil en espace d’épanouissement et en identité. Cela revient à être un homme par un simple mécanisme de vasodilation et de remplissage de corps caverneux. Corps caverneux. Une douce allégorie de la caverne de Platon ?
Autant est-il courant de donner un nom à un cancer, rendant une maladie personnifiée, identifiée, distincte de l’hôte, autant l’est-il aussi de le faire pour le pénis. Mon pénis, mais ayant un peu sa propre vie, ses propres humeurs, un ami avec qui il est nécessaire de faire bonne alliance. Alors quand Paulo rencontre le crabe, le ménage à trois est chaotique voir désastreux.
Le cancer a des répercussions psychologiques, faut pas se leurrer.
- Une possible réaction post traumatique : l’annonce de la maladie peut être vécue comme un couperet, une injustice, un non-lieu. Il est nécessaire de faire le deuil de la vie d’avant, d’un idéal peut-être aussi, mais assurément, de prendre conscience du changement que la maladie amène sur l’estime de soi.
- Une modification de l’image corporelle :
- Sur celle du corps réel pour commencer, qu’il y ait intervention chirurgicale ou pas. Un compagnon indéniable que devient la fatigue puis la nécessité, pour les sportifs, de se tourner vers des pratiques sportives adaptées et non plus celles habituelles, qui peuvent modifier la tonicité du corps.
- Sur celle du corps fantasmé, c’est-à-dire l’image du corps que l’on pense avoir, qui modifie les perceptions et les ressentis réels. C’est en psychologie, un mécanisme de protection, qui n’est pas toujours aidant. Se sentir indestructible ou anéanti, deux extrêmes qui coupent de la réalité mais surtout du corps. Cela s’appelle être dissocié. Vous comprendrez donc qu’éprouver du plaisir physique quand on n’habite pas son corps, c’est chaud !
- Une perte de confiance en soi : Pourquoi moi ? Je ne suis plus désirable…
- Des arrêts de travail et une baisse de revenus sont également envisageables : stress et anxiété
A tous ces changements psychologiques, s’ajoutent ceux des traitements (chirurgies, radiothérapie, chimiothérapie) qui impactent logiquement la sexualité.
La radiothérapie des organes génitaux provoque une baisse de la qualité de l’érection PROGRESSIVE (jusqu’à 24 mois après la dernière séance) et une absence de sperme, donc d’éjaculation. La chimiothérapie et l’hormonothérapie peuvent supprimer le désir. Tout désir, donc l’envie de sexualité aussi.
Il fallait tout de même mettre les couilles sur la table (clin d’œil au formidable podcast du même nom) pour enfin les mettre sur le cœur ! Rien n’est foutu, fini ou basta. Inutile également de penser faire comme si…de rien, que l’autre n’y verra que du feu etc. Nous n’avons pas UNE sexualité, mais DES sexualités au cours d’une vie. Tantôt fiévreuse, tantôt pilonneuse, tantôt ronflante, tantôt sacrée. Comme le dit Maia Mazurette dans le podcast cité plus haut, « la sexualité est une culture, un art. Il est nécessaire de se cultiver pour développer l’art de la sexualité ». Une philosophie difficile, voir rebelle, dans un contexte social où les fondements de la psychanalyse freudienne prônent le devenir adulte par l’acceptation de la violence de la pulsion et de la transgression (aïe j’ai peur !). Ou bien encore, les quatre phases de la relation sexuelle : Désir-Excitation-Plateau (quelques minutes !) -résolution/Orgasme. Rien d’étonnant donc à entendre comme aphorisme contemporain : « Un trou est un trou, la bite n’a pas d’œil ! » qui s’inscrit dans le vide de la femme, sans pénis, un manque à combler par le sexe de l’homme. Oui mais alors, si pas de pénétration pas de sexualité ???? Mais si, heureusement. La pénétration est fabuleuse…jusqu’à ce qu’elle ne le soit pas, ou plus.
Mais alors comment trouver le salut ?
- Dialoguer, communiquer sur ses émotions, ses inquiétudes, ses besoins.
- Lutter contre les préjugés : le cancer n’est pas contagieux, donc non sexuellement transmissible, la radiothérapie ne rend pas l’homme radioactif, la chimiothérapie ne reste pas stockée dans le sperme donc ne se transmet pas lors de rapport, l’abstinence sexuelle n’est pas le prix à payer pour guérir…
- Sortir du Freudporn (4 phases de la sexualité pour Freud et les pionniers de la psychanalyse). Les préliminaires sont un acte sexuel, sensuel, qui ne se cantonnent pas aux parties génitales, mais qui se glissent dans les caresses, les fous rire du quotidien, les regards, les mots doux, les baisers.
- Réinventer une sexualité, peut-être avec des impossibles (positions, éjaculations, endurance etc.) mais avec une palette créative de sensations, de plaisir et de partages. Vous savez mieux que moi qu’éjaculer ne rime pas forcément avec orgasme, par contre, avec un peu d’entrainement, il est possible d’orgasmer sans éjaculer. Consulter un sexothérapeute peut vous aider à imaginer et enrichir votre théâtre érotique.
- De la gestion émotionnelle, pour sortir des ombres de sa caverne !
A tous les hommes que je rencontre en consultation depuis 2007, merci pour vos confidences, vos vulnérabilités, vos astuces, votre confiance, qui me permettent de continuer à joyeusement accompagner d’autres hommes, leurs histoires de Paulo et de crabes. Parce que la sexualité, c’est avant tout du plaisir, pas une performance, mais si difficile encore pour un homme d’en parler à cœur ouvert.
Sandie Boulanger- Sexothérapeute- Janvier 2023